Quand on démarre dans ce métier, il nous arrive de devoir faire parfois des soirées d'un genre un peu inhabituel... Parce que bien sûr, l'idéal est de jouer son spectacle dans une salle sympa, avec un public si possible nombreux et (encore si possible) réceptif. Et parfois, aucun de ces derniers points n'est de mise pour la soirée. Je vous propose donc de revivre avec moi ce que nous appellerons communément : ma première soirée de merde, mon premier plan galère. Si, si, lecteur assidu, je sens que tu en as envie...
Il y a quelques années donc (oui, c'était pas hier...), je reçois un coup de téléphone d'un dénommé Mr B., dont nous dissimulerons soigneusement l'identité par relatif respect pour cette personne... (connard).
"Voilà, Mr Etesse, j'ai entendu le plus grand bien de vous, il parait que votre spectacle est très bien et blablabla... Alors voilà, j'organise un plateau d'humoristes pour une soirée exceptionnelle à Draguignan, je vous propose d'y participer."
Les plateaux d'humoristes, c'est un peu comme les festivals : c'est en général super sympa. D'abord parce qu'on retrouve des copains qu'on ne fait que croiser dans l'année, ou qu'on découvre simplement de nouveaux artistes avec lesquels on va se marrer le temps au moins de la soirée. Je demande où la soirée aura lieu : "Oh ! Dans un superbe restaurant aménagé qui comptera un peu moins de 200 places !" Bigre ! J'avais bien joué au théâtre à l'école, mais ça compte pas vraiment : là, il s'agissait d'un lieu apparament prestigieux ou j'allais devoir jouer devant un public que je ne connaissais pas. Bassement intéressé, je demande enfin les conditions, et le bonhomme de me proposer un cachet mirobolant (je ne sais même plus combien, mais c'était une jolie somme. On était en francs à l'époque) pour jouer 3 ou 4 sketchs. Je donne donc mon accord sans hésiter. Etre bien payé pour jouer des extraits de mon répertoire dans une grande salle, c'aurait été bête de ne pas le faire.
Le jour J, me v'là en route. Je trépigne, j'ai selectionné mes sketchs (je me demande même avec le recul si pour certains d'entre eux, je les avais déjà joué en public). Je jouerais "Docteur Freud", "Spiderman", "Place réservée" et sans doute un autre que j'ai oublié... C'était une de mes premières propositions de participation à une soirée de ce type, j'étais plutôt fier.
On tourne, on tourne. Soudain, les amis avec qui j'étais me disent "tiens, c'est pas ça, ton resto ?" ...Je tourne la tête, je regarde la pancarte, je regarde le papier où j'ai noté les infos..... Le doute parait peu possible, ça doit bien être là. Vu de l'extérieur, ça ne paie pas de mine : une malheureuse pizzeria, avec quelques affiches de spectacle mal placardées autour de la porte...
Quand j'ai vu l'intérieur, comment dire... J'ai dû avoir cette expression qu'ont certains personnages de dessins animés japonais : j'ai dû devenir minuscule avec une énorme goutte de sueur derrière la tête. En fait de 200 places, il devait y avoir... allez ! Soyons gourmands ! Au moins 15 tables ! A ces tables, quelques clients (oui, tu as bien déduit, lecteur assidu : certaines tables étaient donc vides !). Là je vais voir le proprio et je demande où est Mr B.... Apparament, il n'est pas là, il aura du retard, mais tout est prévu.
Bêtement, je demande où est la scène (l'endroit où on va jouer, quoi !) et où on peut se changer. Le mec me regarde étonné, pointe le doigt derrière moi et ajoute un : "Ben, là !" ...Je me retourne et je tombe dans la 4eme dimension. La scène est mémorable : 4 caisses à champagne, jointes les unes aux autres, formant une espèce d'estrade carrée. Une fois dessus, tu dois pouvoir faire quelque chose comme un pas avant de te casser la gueule. A leurs côtés, un (un seul !) rideau qui pend comme il peut. Derrière moi, une régie pour lancer un CD ou de la musique, et à quelques centimètres de ma figure, un spot... qui était sensé éclairer l'artiste.
Mes amis comédiens arrivés entre-temps sont catastrophés. Certains refusent de jouer. Moi, je me dis qu'après tout, je vais être bien payé, et puis quand même, des amis sont venus avec moi exprès, donc en avant.
Arrive donc mon tour de jouer et je monte sur ma scène de fortune. Je n'ai pas spécialement un gros cul. Je suis plutôt comme qui dirait taillé dans un baton de sucette. Malgré tout, je dépasse largement du rideau sensé me cacher pendant que je change de costume entre deux sketchs. Je joue. Il doit y avoir 3 tables qui m'écoutent, dont une avec quelques jeunes qui ont l'air de bien aimer. Cool. Pendant ma représentation, une table s'écrie bien fort au serveur : "un peu d'eau s'il vous plait". D'autres, qui ont fini bruyamment leur pizza, se lèvent avant la fin. Bonheur total...
La soirée finie, je prends mes affaires. Pas de Mr B... Je demande alors au patron de la pizzeria comment ça va se passer pour le règlement. Il me rétorque que c'est bizarre que Mr B ne soit pas venu et qu'il va le contacter... et qu'il me rappelera.
Je repars avec mes potes, je claque la bise à mes copains comédiens (enfin pour ceux qui sont restés et ont joué lol) et je me dis qu'on ne m'y reprendra plus... Et je me demande naïvement jusqu'à quel point le Mr B et cette pizzeria délabrée (existe-t-elle toujours ? Le service d'hygiène s'en est peut-être occupé depuis...) n'étaient pas de mèche.
Ah oui ! C'est arrivé en 1999 ou 2000 cette histoire, je ne sais plus exactement. Et j'attends toujours mon chèque aujourd'hui. Mr B, si tu me lis, essaie d'y penser, tu seras bien brave, coco ! ;)